Bien que l'armée nigériane qualifie l'incident de "malentendu", la fatigue et la colère sont palpables parmi les soldats qui se sont mutinés ce week-end pour protester contre un ordre de redéploiement en zone contrôlée par Boko Haram.
Dimanche, des centaines de soldats ont protesté en tirant en l'air à l'aéroport de Maiduguri, dans la capitale de l'Etat du Borno (nord-est), pour signifier leur refus d'être envoyés sur une base militaire dans la région reculée du lac Tchad, région de repli du groupe jihadiste nigérian.
"Lorsqu'on est arrivés ici, ça ne devait pas être pour plus d'un an, mais maintenant ça fait quatre ans qu'on est là", confie à l'AFP un soldat mécontent sous couvert d'anonymat. "Et voilà qu'ils nous envoient à Marte", une ville sous contrôle du groupe Etat islamique.
"Nous avons besoin de repos, nous sommes lassés de faire la guerre", raconte-t-il. "Nous avons besoin de voir nos familles."
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Ces dernières semaines, les combattants de la faction dirigée par Abou Mossab Al Barnaoui ont mené de multiples attaques contre les forces armées nigérianes dans la région, faisant de nombreuses victimes et pillant armes et équipements.
Menaces et attaques incessantes
Le 8 août, les insurgés ont tué 17 soldats et un civil dans une attaque contre une base militaire près du village de Garunda. Fin juillet, des hommes armés ont mené un raid avec des explosifs contre un poste de contrôle militaire près de Monguno, tuant au moins 11 soldats et trois civils.
Quelques jours plus tôt, une trentaine de véhicules avaient envahi la base de Jakana: le bilan n'a jamais été dévoilé officiellement, mais il pourrait s'élever à plusieurs dizaines de victimes. 23 soldats sont toujours portés disparus depuis la mi-juillet après une embuscade dans la forêt de Sambisa.
Ces attaques rappellent le pic de la guerre entre 2014 et 2015, avant l'arrivée de Muhammadu Buhari au pouvoir. L'armée nigériane était alors démoralisée, sous-équipée et l'ancien général avait fait campagne en promettant de remettre de l'ordre dans l'armée et de mettre fin au conflit.
Toutefois, près de quatre ans après son arrivée au pouvoir, et à six mois d'un nouveau scrutin, le groupe jihadiste, certes affaibli, s'est réorganisé et mène des attaques de grande ampleur.
L'armée nigériane est dépassée par "une situation sécuritaire catastrophique", explique Yan St-Pierre, expert en contre-terrorisme. "Ils utilisent encore des stratégies anciennes et dépassées qui ne peuvent plus être appliquées dans le nord-est" du Nigeria. "Les attaques de Boko Haram sont bien plus sophistiquées et leur niveau de préparation s'est amélioré".
Le chef des armées, Yusuf Tukur Buratai, a envoyé le 27 juillet une note aux soldats, dans lequel il menace d'utiliser la peine capitale pour les "soldats lâches".
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"Ceux qui abandonnent leur poste" peuvent potentiellement "réduire à néant tous les efforts de guerre faits lors de ces trois dernières années contre les +terroristes+ de Boko Haram".
Arsenal de guerre
L'accélération des attaques a lieu chaque année à la période de la saison des pluies, entre juin et septembre: les routes qui donnent accès au lac Tchad sont alors gorgées d'eau et moins accessibles aux soldats, permettant aux insurgés de se réorganiser et de reconstituer leur arsenal avec des armes provenant des pillages, mais aussi du Mali ou de Libye.
Pour Sanda Kime, un milicien civil, les dernières attaques ont été menées avec de "très importantes quantités d'armes".
"Ils sont mieux armés qu'avant, ce qui les rend plus dangereux", explique M. Kime à l'AFP dans la région du lac Tchad, où sont retranchés les combattants d'Al Barnaoui.
La situation est d'autant plus inquiétante pour la région depuis que Boko Haram a envoyé des menaces d'attaque aux garnisons de Monguno, Askira et Uba, pour le jour de l'Eid, le 22 août.
Les Nations unies ont d'ailleurs annoncé qu'elles suspendaient toute intervention humanitaire à Monguno à partir de cette date.
"Les soldats semblent être totalement dépassés et sont maintenant en position défensive", confie un travailleur humanitaire sous couvert d'anonymat.
Abu Mossab Al Barnaoui, fils du fondateur de ce groupe islamiste converti en mouvement jihadiste sanguinaire, se serait retranché dans une forêt proche de Benisheikh, sur la route entre Damaturu et Maiduguri, d'où il commande les attaques de ses hommes, selon une source locale.
"Ils sont retranchés dans des douzaines camps d'entraînement sur des îles du lac Tchad et dans les environs", raconte un pêcheur de la région. "Pour que les attaques contre l'armée cessent, il faut les éradiquer complètement", estime-t-il. Une mission que se sont donnée les gouvernements et les généraux successifs au Nigeria depuis près de dix ans, sans succès.